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La mémoire traumatique

La mémoire traumatique
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Les souvenirs de Julie remontent à la mémoire après des années d’oubli, Anaïs, elle se souvient de l’agression sexuelle, mais dans son souvenir, elle est en dehors de son corps, elle voit la scène vue d’en haut. Antonin se demande s’il a rêvé, son souvenir de petit garçon lui parait irréel.

La mémoire traumatique est étrange, elle est très différente de la mémoire à long terme, que nous connaissons tous. La mémoire à long terme, c’est un peu comme un meuble, dans lequel on peut ranger ses souvenirs, dans des tiroirs, puis les ressortir à l’occasion, parce qu’on en a envie, parce qu’on a vu quelque chose qui active la mémoire d’un souvenir.

La mémoire traumatique, c’est bien autre chose : c’est une mémoire à vif, des souvenirs que le temps ne patine pas, sur lesquels le temps n’a aucun effet, aucune prise. Et puis, dans cette mémoire, on trouve des souvenirs souvent très parcellaires, précis sur certains aspects, flous sur d’autres. La mémoire traumatique, c’est aussi le lieu de l’oubli, de ce qui échappe.

Alors pourquoi ça fonctionne de cette manière si étrange ? Pourquoi ces traumas empoisonnent-ils ainsi l’existence, des années après ? Et est-ce qu’il existe des prises en charge efficaces ? Aujourd’hui, on va répondre à ces questions, en explorant le monde de la mémoire traumatique. C’est parti !

La mémoire traumatique et son fonctionnement si particulier, tellement à part, on la retrouve après toutes sortes de traumatismes. Mais aucun doute là-dessus, ses manifestations les plus déroutantes, se retrouvent très fréquemment après avoir été victime de violences sexuelles.

La mémoire traumatique des victimes de violence sexuelle prend deux formes, qui sont aussi deux troubles : le syndrome de stress post-traumatique, la dissociation mentale. Le premier je vais dire SSPT pour syndrome de stress post-traumatique – c’est plus pratique – est connu depuis longtemps. Le deuxième, la dissociation mentale, est beaucoup moins connu, notamment en France, même si son existence a été popularisée par la psychiatre Muriel Salmona. C’est dommage car ce trouble est très fréquent chez les victimes de violences sexuelles.  La dissociation mentale se développe chez la victime pour faire face aux pires situations, celles qui sont les plus gravement traumatisantes.  Et un constat unanimement partagé, par la communauté des chercheurs, c’est que les violences sexuelles subies pendant l’enfance sont pourvoyeuses des traumatismes les plus sévères.

Alors aujourd’hui, on va commencer par parler du syndrome de stress post-traumatique. Ça, c’est mieux connu, mais aussi beaucoup plus fréquent. Beaucoup de gens peuvent développer un SSPT suite aux épreuves de la vie. Un accident de voiture, une agression dans la rue, l’annonce inattendue d’un décès d’un proche, tout ceci peut déclencher un SSPT – pas toujours bien sûr, mais ça arrive. Subir une violence sexuelle, peut aussi déclencher chez la victime un SSPT.

Voici les symptômes les plus fréquents : Le premier est l’envahissement émotionnel. La victime dès qu’elle pense au souvenir traumatique est bouleversée. Elle n’arrive pas à en parler sans pleurer. Quand elle y pense, certains détails sensoriels sont très précis : un ton de voix, une couleur, une odeur, etc. Première étape : l’état de choc, la sidération, l’incompréhension. Deuxième étape qui advient immédiatement après : la peur et l’impuissance. Ces deux étapes peuvent se réactiver très souvent, elles sont revécues de manière très intense, comme sur le moment. En fait, quand la victime pense au souvenir, elle est envahie par les émotions et les sensations du souvenir, comme si elle revivait l’évènement. Comme s’il avait eu lieu hier. Même 20 ans après. Même 30 ans après.

Attention, une précision s’impose ici : elle revit le souvenir avec les émotions et sensations associées, mais ça ne veut pas dire que le souvenir est précis. Au contraire, souvent, il est même plutôt flou. Certains détails sont très précis, la plupart sont oubliés, ou bien vagues. Un exemple pour illustrer. Une patiente vient me voir pour traiter son SSPT suite à un viol par un homme dont elle croyait qu’il était un ami. Le viol a eu lieu il y a un an. Les souvenirs de la soirée sont très vagues, elle se souvient surtout du début de l’agression, du moment où elle s’est débattue. Là, le souvenir de la chambre de son agresseur, des mots qu’elle a prononcés, des sensations, tout ça est très précis. Par contre après, c’est le trou noir. Le viol en lui-même, le moment où elle a quitté l’appartement, la fin de la journée : rideau, rien, elle n’a aucun élément en mémoire.  

Alors ce premier symptôme – l’envahissement émotionnel – en entraine logiquement un autre, c’est l’évitement. La victime évite de penser à l’évènement, justement pour ne pas être envahie. Elle évite de revoir l’agresseur, a peur d’ailleurs de le recroiser. Elle évite le lieu de l’agression. Elle évite tout ce qui peut lui rappeler de près ou de loin cette agression.

Mais ce n’est pas si facile, il ne suffit pas de le vouloir, le souvenir s’impose quand même. Il s’impose parce que la pensée de l’agression revient quand même, même si la victime s’efforce de ne pas y penser, il s’impose aussi par des flash-backs, des bouts de souvenirs qui viennent à l’esprit sans qu’on ne leur ait rien demandé : souvent une image, parfois accompagnée d’une voix. Il s’impose enfin par le biais des cauchemars. Parfois la victime revit l’agression dans ses cauchemars. Parfois, c’est aussi plus indirect : la victime fait des cauchemars où elle est poursuivie par exemple ou menacée de mort, etc.

Pour compléter le tableau, ajoutons qu’il y a des symptômes associés, en plus de tout cela, comme l’hypervigilance. On la retrouve très fréquemment, la victime est à l’affut, elle ne peut plus se sentir en sécurité alors elle traque le moindre indice d’insécurité, elle ne peut pas se détendre, ce n’est plus possible.  

Et puis, la victime peut avoir tendance à sursauter, au moindre bruit. Ça va avec le fait d’être aux aguets, à l’affut. Bien sûr, beaucoup de victimes ont aussi des insomnies, de l’irritabilité. Evidemment on s’en doute aussi, des difficultés de concentration.

Donc l’ensemble de ces symptômes forment ce syndrome de stress post-traumatique. Les traiter un par un ne fonctionnerait pas du tout, c’est le syndrome dans son ensemble qui doit être traité, si on veut être efficace. Comment ? C’est ce que nous verrons un peu plus tard. 

Deuxième forme possible de mémoire traumatique : la dissociation mentale. Comme je vous le disais en préambule, ce trouble-là est nettement moins connu. C’est dommage, car il est très fréquent. Quand est-ce qu’on le retrouve principalement ? Pour certains traumatismes de l’enfance et de l’adolescence. Parce que les violences subies au cours de l’enfance causent des traumatismes plus profonds, plus graves. Entre parenthèse, puisque les enfants sont plus vulnérables, que les conséquences des violences sont plus lourdes pour eux, à court comme à long terme, ça montre à quel point il est important, essentiel, de les protéger.   

Revenons à la dissociation mentale. On la retrouve principalement suite à des violences sexuelles subies au cours de l’enfance. Mais pas que. Parfois, il y a de la dissociation mentale suite à une maltraitance physique ou psychologique ou suite à un harcèlement scolaire. Ça arrive.

Alors comment ça se présente, une dissociation mentale ? Déjà, premier point important, ça se présente de la même manière au moment de l’agression et des années après, y compris à l’âge adulte, bien sûr. Que rapportent les victimes ? Une sensation d’être assommé, d’être dans le brouillard, comme dans du coton. Une sensation de vide. Une sensation d’être paralysé, comme figé. Des vertiges. Alors, quand on entend toutes ces descriptions, on pense bien évidemment à la sidération. Les sensations sont identiques. La dissociation, c’est comme une sidération qui ne passe pas. La sidération, c’est la première étape, dans la situation traumatique : au moment de la sidération, la victime est choquée, comme assommée. Elle est paralysée et elle ne comprend absolument pas ce qui lui arrive. Et bien dans la dissociation, cet état de choc, de paralysie initiale ne passe pas, il s’installe de manière permanente.

Mais la dissociation, ce n’est pas que cela.

Passons au deuxième point. Au moment de l’évènement traumatique, la victime se sent comme propulsée dans un univers irréel, dans la quatrième dimension. La victime se sent comme dans un rêve – un cauchemar en l’occurrence. Il y a sur le moment un vécu d’irréalité et ce vécu est persistant sur le long terme. Donc quand la victime repense à l’évènement des années après, elle a l’impression que c’est irréel. On appelle ce phénomène la déréalisation, c’est un phénomène de dissociation mentale. Et ça, c’est très embêtant. Pourquoi ? Parce que la déréalisation insinue le doute dans l’esprit de la victime : J’ai l’impression d’avoir rêvé, c’était donc peut-être un rêve ? Ça s’est passé dans mon enfance et ça me parait irréel ? N’aurais-je pas tout inventé ? Et si c’est mon esprit qui me joue des tours, suis-je légitime à…en parler à un psy, à entamer une procédure judiciaire. Souvent, les victimes qui souffrent de déréalisation ont peur de « faire des histoires » pour rien.

Vous avez peut-être remarqué un détail de taille, un gros détail, depuis que je parle de dissociation mentale. Vous ne m’avez pas entendu prononcer des mots comme peur, comme effroi, comme terreur. Ce n’est pas un hasard. Certaines victimes ressentent de la peur, dans l’après coup, d’autres non, ça dépend. En revanche, ce que ressentent toutes les victimes dissociées, c’est de la sidération. Et bien sûr aussi de l’incompréhension. Pour certaines, ça s’arrête là. Elles ne peuvent ni penser, ni ressentir d’émotion. Est-ce à dire que ces victimes n’ont pas eu peur, n’ont pas été terrorisées sur le moment ? Et bien non, bien au contraire, l’explication est ailleurs. On va y venir. Mais finissons d’abord de décrire les différentes manifestations de la dissociation mentale.

Troisième point, la victime peut se sentir comme hors de son corps, elle regarde la situation d’en haut, ou bien elle est à côté. En tout cas, elle n’est plus dans son corps. Elle observe la situation, un peu comme si cela arrivait à quelqu’un d’autre. On appelle ce phénomène de dissociation la dépersonnalisation.

 Etrange n’est-ce pas ? C’est d’ailleurs là tout le problème. Comme c’est étrange, la victime a souvent peur d’être folle. La dépersonnalisation n’a pourtant rien à voir avec ce que l’on appelle communément la folie, donc non, la victime n’est décidemment pas folle. Elle est juste dissociée.

Quatrième et dernier point, l’amnésie traumatique. On l’appelle aussi amnésie dissociative. Alors là, on se trouve dans l’étape ultime de la dissociation mentale, puisque la victime subit une amnésie. Les souvenirs traumatiques sont oubliés, pendant des années, et des années. Et puis un jour, il y a levée de l’amnésie, les souvenirs reviennent en mémoire. Cela ne signifie pas que la victime, pendant la phase d’oubli, est heureuse et épanouie puis qu’elle s’effondrerait au moment où les souvenirs émergent. Cela ne se passe pas de cette manière. Pendant les années d’amnésie, la victime ressent un profond mal-être et elle a aussi des symptômes de mal-être, voire de SSPT. Certaines victimes font des cauchemars de mort imminente, certaines se sentent vides et développent des troubles en lien avec ce sentiment de vide intense, par exemple des troubles du comportement alimentaire. Donc la victime vit mal, se sent mal, a des troubles psychiques, mais comme elle ne comprend pas pourquoi, souvent, elle se fustige. Elle se dit qu’il n’y a pas de raison. Elle ressent de la culpabilité. Qui n’enlève rien au mal-être mais vient plutôt en rajouter. Et puis, quand les souvenirs émergent, arrive bien sûr la peur d’avoir tout inventé. Et oui, puisque ces souvenirs n’étaient pas là, pendant toutes ces années. 

Résumons-nous un peu : la victime qui développe une dissociation mentale peut présenter une déréalisation, une dépersonnalisation, une amnésie traumatique. Si elle subit de la déréalisation, elle doute, se demande si elle n’a pas inventé. Si elle expérimente de la dépersonnalisation, elle a peur d’être folle, si elle souffre d’amnésie traumatique, elle se sent coupable d’être si mal sans raison. Puis l’émergence des souvenirs est un bouleversement très difficile à vivre, au moins il permet de comprendre, de donner du sens au mal-être. Mais il génère là aussi des doutes.

Vous l’aurez compris, pas facile de souffrir de dissociation mentale.   

Alors, comment s’explique ces phénomènes que l’on vient d’évoquer ? Dans le psychisme, dans le cerveau ? Pourquoi cette satanée mémoire traumatique empoisonne la vie des victimes, renforçant encore l’injustice de la violence sexuelle ? Et oui, car c’est bien la victime qui souffre pendant des années, des décennies, avec le traumatisme.

Comment ça fonctionne, disions-nous ? Et bien, un peu comme un système électrique dans une maison. Tant que le système électrique est sollicité de manière raisonnable dans la maison, tout va bien. Mais heureusement que le système électrique comporte des garde-fous, une sécurité, sinon, nos maisons risqueraient de prendre feu. Imaginons que nous sommes en hiver, avec un chauffage électrique, et puis le four est allumé, la machine à laver aussi, et puis et puis et puis. Et puis l’appareil de trop, par exemple le sèche-cheveux. Ça y est, c’est le black-out, plus rien ne fonctionne, le système a disjoncté, on est dans le noir. Les plombs ont sauté. Les plombs ont sauté pour nous protéger de la surchauffe, pour éviter l’incendie. Vous voyez où je veux en venir ? Notre cerveau est un peu comme le système électrique de la maison. Quand les plombs sautent, quand c’est le black-out, quand il y a dissociation mentale, c’est que notre cerveau, qui est bien fait, évite la surchauffe, évite la mort, en coupant tout. Il survie en disjonctant. La dissociation mentale est un processus de survie psychique.

Maintenant que vous avez compris le principe, voyons plus précisément comment cela fonctionne. Ces explications neurologiques proviennent des travaux du docteur Muriel Salmona. 

Quand on subit un stress, quand on est en danger, une petite zone de notre cerveau s’active. Cette petite zone se trouve dans la partie intérieure de notre cerveau et cette partie intérieure du cerveau s’appelle le système limbique. Pour faire simple, le système limbique est notre cerveau émotionnel. La zone qui s’active en cas de stress, elle, s’appelle l’amygdale. On peut dire que l’amygdale est la partie du cerveau vraiment spécialisée pour réagir en cas de danger, c’est un gyrophare. Grâce à l’activation de l’amygdale, le corps produit des hormones de stress, comme l’adrénaline, comme le cortisol. Ces hormones de stress sont très utiles. Elles permettent une augmentation du rythme cardiaque, du système respiratoire, etc. Bref, en un mot, le corps se prépare à effectuer une réponse d’attaque ou de fuite. Et oui, quand on est en danger, pour survivre, il est préférable de pouvoir fuir, ou bien attaquer. Voilà des réactions innées, des réactions que nous partageons avec le règne animal. Tous les animaux en font de même. Heureusement pour l’être humain, il est lui aussi doté de cette capacité de fuir ou de contre-attaquer face au danger, sinon, notre espèce n’aurait tout simplement pas pu survivre, à tous les aléas, à toutes les agressions et nous ne serions pas là aujourd’hui pour en parler.

Donc je vous ai présenté la manière dont cela se passe quand tout va bien. Et tout va bien quand le danger n’est pas trop grand. Face à un danger trop grand, trop grand pour pouvoir faire face, le cerveau humain ne réagit pas de cette manière, pas du tout, c’est très différent. On le voit bien avec le SSPT et la dissociation mentale, ces troubles ne ressemblent pas à ce que l’on vient d’évoquer. Alors que se passe-t-il, au niveau neurologique, face à un danger trop grand ? Et bien, c’est ce que nous allons voir à présent.

Quand le danger est plus grand, est trop grand, l’amygdale, toujours elle s’active, et génère la production d’hormones de stress. Oui mais voilà. Elle s’active davantage face à un danger plus grand, donc les quantités d’hormones de stress diffusées dans l’organisme sont aussi plus importants. Et c’est là que le bât blesse. Trop d’adrénaline, trop de cortisol, c’est mauvais pour le corps. Ça finit par l’empoisonner ça peut le tuer. Donc le corps se retrouve en situation de danger vital, en raison des hormones diffusées en excès. On retrouve là notre système électrique en surchauffe, notre risque d’incendie. Et pour l’éviter, le circuit qui disjoncte. Le cerveau a lui aussi cette capacité de disjonction. Tout est coupé. L’amygdale est toujours suractivée parce que le danger trop grand est toujours là. Mais l’amygdale ne communique plus avec le reste du cerveau. Donc la sécrétion d’hormones de stress s’arrête. Comment a lieu au juste cette disjonction, dans le cerveau ? Et bien par l’activation de neurotransmetteurs – les neurotransmetteurs, ce sont ces molécules chimiques qui transmettent les messages, d’un neurone à l’autre, dans le cerveau. Et là, en l’occurrence, les neurotransmetteurs qui s’activent sont des molécules qui sont proches de la morphine, ce sont des molécules anesthésiantes, telles que les endorphines ou d’autres encore qui elles sont comparables à la kétamine. Donc les neurotransmetteurs qui s’activent sont des sortes de drogues anesthésiantes que le cerveau se prescrit à lui-même.

Dans cette situation neurologique là, la victime soudain se retrouve coupée de son expérience : elle ne ressent plus ni émotion, ni sensation, elle ne pense plus, elle ne croit plus. La victime est figée, paralysée, comme assommée, dans le brouillard, dans le coton. Ça vous rappelle peut-être quelque chose ? On retrouve là les premiers signes de dissociation mentale. Et dans cet état où tout est coupé, en dehors de l’amygdale, isolée, qui continue à s’activer plus que jamais, certains vont se sentir couper de la réalité extérieure – on retrouve la déréalisation, d’autres vont se sentir comme un observateur, en dehors d’eux-mêmes – on retrouve la dépersonnalisation.

Mais ce n’est pas fini. Si l’amygdale est coupée de tout, elle est aussi coupée des zones du cerveau qui s’occupent de l’enregistrement en mémoire. Justement, une de ces zones, qui joue un rôle très important dans le processus de mémorisation se trouve juste à côté de l’amygdale, c’est l’hippocampe. Avec la dissociation, l’amygdale et l’hippocampe ne communiquent plus, alors les souvenirs ne vont pas pouvoir être stockés dans la mémoire à long terme, ne vont pas pouvoir être rangés dans des tiroirs de la mémoire à long terme. Sont-ils définitivement perdus, aux oubliettes ? Non, ils restent piégés là, dans la mémoire traumatique, au niveau de l’amygdale.

Dans la mémoire traumatique, on va trouver certains éléments sensoriels, émotionnels, qui restent à vif, qui ne sont pas modifiés par le temps qui passe. Et puis, pour d’autres éléments, il y a amnésie, complète ou incomplète. Quand l’amnésie est incomplète, on retrouve les symptômes du SSPT, de la dépersonnalisation, de la déréalisation. Quand l’amnésie est complète, on retrouve l’amnésie dissociative.

Dans quels cas de figure trouve-t-on une amnésie dissociative ? Et bien quand la victime enfant se retrouve confrontée à son agresseur dans la vie quotidienne, ou que les agressions sont répétées. Proximité dans le quotidien avec son bourreau, répétition des violences, l’amnésie dissociative joue un rôle de survie psychique dans ces deux cas de figure. La mémoire traumatique serait activée de manière insupportable provoquant stress excessif et terreur, dans le quotidien, L’amnésie est une sorte d’anesthésie au long cours, qui permet de continuer à vivre ou plutôt à survivre car elle n’enlève rien aux symptômes de mal-être générés par les violences.

Donc, si on résume : en fonction de la gravité des violences subies, l’amnésie traumatique peut être partielle – on a alors un syndrome de stress post-traumatique. Elle peut s’accompagner de symptômes dissociatifs, dépersonnalisation et déréalisation. Mais l’amnésie traumatique peut aussi être complète, le souvenir n’est alors plus accessible à la mémoire consciente pendant des années. Pour autant, il reste là, encapsuler, dans la mémoire traumatique. Pourquoi l’amnésie finit-elle par se lever ? Ça dépend. Parfois parce que la victime n’est plus en lien avec son agresseur. Parfois, c’est aussi quand un élément déclencheur vient réveiller le souvenir. Parfois encore, c’est parce que la victime est dans une phase stable de sa vie, qu’elle se sent en sécurité, qu’elle est prête à traiter son trauma et s’approprier cette phase de sa vie.    

Il me reste à vous parler d’un dernier phénomène, assez curieux, spécifique à la mémoire traumatique et plus précisément à la dissociation. La dissociation peut s’étendre. Comment cela, s’étendre ? Et bien, il arrive souvent que les victimes soient dissociées dès qu’elles sont dans une situation un peu stressante, même quand la situation stressante n’a rien à voir avec la violence initiale. Les victimes dissociées se sentent comme dans un rêve, dans le moment présent, elles sont en état de déréalisation. D’autres ressentent fréquemment qu’elles sont observatrices de ce qui leur arrivent, comme en dehors de leur corps. Pas seulement pendant que la violence advient, pas seulement après en pensant au souvenir traumatique mais aussi comme ça, dans le présent. La dissociation s’étend, perdure, s’installe durablement, dans la vie de la victime, s’invite dans sa vie quotidienne.

Et l’amnésie dissociative ? Elle aussi, a tendance à s’étendre. Certaines victimes oublient pendant quelques années le souvenir traumatique uniquement. Beaucoup d’autres ont très peu de souvenirs de leur enfance. C’est presque tous les souvenirs d’enfance qui ont basculé dans l’amnésie, à l’image des évènements violents.

Maintenant que l’on a compris à quoi ressemblent les troubles du traumatisme et comment s’explique leur fonctionnement au niveau du cerveau, se pose, bien sûr, la question de la prise en charge. Existe-t-il à l’heure actuelle une prise en charge efficace tant pour le SSPT que pour la dissociation mentale ? Bonne nouvelle, la réponse est oui. Des approches différentes, il y en existe à foison, mais, de nombreuses études en attestent, deux techniques sont plus efficaces pour traiter les traumatismes de toutes sortes et l’une d’elles est l’EMDR. Cette technique fonctionne aussi pour les traumatismes les plus sévères, comme les SSPT sévères, les dissociations mentales (celles dont on a parlé aujourd’hui, je laisse de côté le trouble dissociatif de l’identité), bref toutes les symptomatologies que l’on rencontre chez les victimes d’agression sexuelle.

L’EMDR est une technique de désensibilisation basée sur la stimulation bilatérale – donc des deux hémisphères cérébraux – alternée et très rapide. Souvent, elle se pratique avec une stimulation oculaire. EMDR signifie d’ailleurs Eyes movement desensitization and reprocessing.  On pourrait traduire en français par Désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires. Petite précision, pour faire ce genre de thérapie, il faut se tourner vers un psy – psychologue ou psychiatre – dument formé par un organisme compétent à cette technique. Et oui, puisque quand on travaille dans le domaine du trauma, on doit éviter à tout pris le risque de retraumatisation, c’est-à-dire d’aggraver encore les choses. L’EMDR est une méthode efficace et sans risque, mais à la seule condition qu’elle soit pratiquée par quelqu’un qui y est formé.

Après une prise en charge en EMDR, les patientes et patients victimes de violences sexuelles se sentent beaucoup mieux, allégés, les symptômes de mal-être ont régressé. Ça ne veut pas dire que les résultats sont aussi efficaces que pour un banal accident de voiture, par exemple. L’efficacité n’est pas totale pour les traumas les plus sévères. Mais c’est déjà beaucoup mieux que rien du tout.

Ça ne signifie pas non plus que c’est une prise en charge suffisante, loin s’en faut. Et oui, quand les traumas sont multiples, arrivés tôt dans la vie, sévères, et bien ils influencent tout le psychisme, ils ont une influence sur la relation à soi-même, sur la relation aux autres…bref, ils ont un impact sur la manière dont la personnalité se construit. C’est pour cela d’ailleurs que l’on parle souvent de reconstruction, pour les victimes de violence sexuelle et qui dit reconstruction dit approche globale. Il y a l’émotionnel, d’accord. Mais il y a aussi les croyances, il y a bien sur la manière, sur le long terme, dont l’inconscient peut jouer des tours, pour simplement persévérer dans ses croyances de fond. Donc le travail thérapeutique va aussi porter sur tout cela, les croyances de fond, les stratégies inconscientes. Autant de sujets qui feront l’objet d’autres podcasts.

Justement, ce podcast touche à sa fin, j’espère qu’il vous a intéressés. On a détaillé aujourd’hui les manifestations de la mémoire traumatique et les explications neurologiques de cette mémoire. On a aussi un peu parlé de la prise en charge des traumatismes. J’aurai grand plaisir à vous retrouver pour évoquer les scénarios de vie et encore bien d’autres sujets. En attendant, n’hésitez pas à vous abonner, à laisser un commentaire, et surtout, prenez soin de vous !