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Quatre idées reçues sur les violences sexuelles

Quatre idées reçues sur les violences sexuelles
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alt= Femme qui réfléchit sur des idées reçues
Crédit: Coockie-studio de Freepik

Aujourd’hui, nous allons introduire le thème des violences sexuelles par le biais des idées reçues. Nous allons examiner quatre idées reçues sur les violences sexuelles, répandues dans la société et nous allons les mettre à l’épreuve du réel pour voir si elles sont fondées ou bien erronées, démêler le vrai du faux pour y voir plus clair.

Pétage de plomb ou passage à l’acte?

Première idée reçue : Les auteurs de violences sexuelles seraient des personnes qui n’arrivent pas à contrôler leurs pulsions sexuelles. Selon cette croyance, les auteurs de violence sexuelle seraient saisis d’une pulsion irrépressible, incontrôlable qui conduirait au passage à l’acte. On pourrait alors assimiler le viol à une sorte de « pétage de plomb ». On pourrait faire une analogie entre colère impulsive et violence sexuelle, comme si au fond les pulsions sexuelles et l’impulsivité étaient de même nature. Les personnes qui souffrent d’impulsivité décrivent une montée de colère irrépressible, très rapide, générant perte de contrôle et agressivité. En est-il de même pour les pulsions sexuelles, finalement ?

Alors, quand on travaille au quotidien, en tant que psychologue, on ne peut être que surprise par cette idée reçue car elle est systématiquement contredite par les récits relatant des violences sexuelles. 

Je vais prendre quelques exemples.

Un homme demande à une petite fille de monter dans sa voiture pour lui montrer son chemin puis il l’emmène dans un endroit désert pour l’agresser. Dans cet exemple, on remarque qu’il y a clairement planification. Or si le désir peut être temporisé, si les capacités intellectuelles sont mobilisées pour manipuler, c’est bien que l’agresseur est dans le contrôle de lui-même et de son corps. Ce n’est pas ce que l’on observe dans le comportement impulsif.

Autre exemple, un ami de la famille établit un lien de complicité et de tendresse avec la fille de ses amis. Et puis un jour, il s’organise pour se retrouver seul avec elle et l’agresse. Dans ce cas, il y a du calcul, il y a même une planification, une organisation pour rendre possible le passage à l’acte.

Dans les violences sexuelles qui me sont relatées par les victimes, dans la grande majorité des cas, on retrouve cela : de la planification, de l’organisation, de la manipulation, de la temporisation. On voit qu’on est très loin de la pulsion incontrôlable qui jaillit comme une nécessité impérieuse. Au contraire, le contrôle de l’autre, qui exige d’être en mesure de se contrôler soi-même est central.   

On peut remarquer une chose, avec cette idée reçue, l’auteur des violences est quelque peu déresponsabilisé de ses actes, il serait doté naturellement, génétiquement de pulsions sexuelles peu contrôlables, il aurait la malchance d’être né avec ce bagage génétique. Cette croyance dans une forme de déterminisme biologique ne résiste pas à l’épreuve des faits.

Donc il y a une montée de désir sexuel, bien sûr, mais elle est contrôlable puisqu’il y a ensuite organisation, planification, intention. Sur les centaines de cas que j’ai recensé, pas un seul ne comporte un contexte qui n’est pas organisé, qui n’est pas, à minima propice à, qui n’est pas, dans la plupart des cas, préparé, pensé. Donc le modèle de l’impulsivité n’est pas opérant. Quand on peut faire appel à ses fonctions exécutives, c’est qu’on a du contrôle. 

Question de maladie ou de personnalité?

Deuxième idée reçue : Les auteurs de violence sexuelle seraient des « malades mentaux ». En ce sens, on ne pourrait pas vraiment les considérer comme responsables de leurs actes. S’ils pouvaient faire autrement, ils le feraient, leur « maladie » serait en cause dans leur passage à l’acte. On entend souvent à ce sujet que « des tarés, il y en aura toujours », discours qui amène à une vision finalement plutôt fataliste au sujet des violences sexuelles. « C’est malheureux mais c’est comme ça » pourrait-on ajouter.

Pourquoi cette croyance répandue est-elle fausse ?

Les paraphilies

Tout d’abord, il est vrai que parmi les auteurs de violence sexuelle, certains souffrent de ce qu’on appelle des paraphilies, c’est-à-dire pour le dire simplement une sexualité inadaptée, qui peut être cause de souffrance, voire même de détresse (on peut citer l’exhibitionnisme, la zoophilie, etc.). Mais de nombreux hommes souffrent de paraphilies sans passer à l’acte et ceci pour une raison très simple : parce qu’ils sont conscients de la souffrance induite pour la personne en face et qu’ils ont trop d’empathie pour commettre un tel acte. A l’inverse, j’ai déjà reçu des patients qui ne souffraient pas de paraphilie et qui avaient pourtant déjà agressé sexuellement, par exemple une femme. Donc, en fait, quel est le point commun entre tous les auteurs de violence sexuelle, qu’ils souffrent ou non de paraphilie : le manque d’empathie. Par ailleurs, certaines personnes souffrent de paraphilie et ne passent jamais à l’acte.

C’est toute la différence, par exemple, entre pédophilie – c’est-à-dire la paraphilie consistant à être attiré sexuellement par un enfant – et la pédocriminalité, qui consiste à agresser sexuellement un enfant. Finalement, ce point nous fait toucher du doigt une caractéristique essentielle des violences sexuelles : dans la terminologie violence sexuelle, le terme le plus important n’est pas le mot sexuel, mais le mot violence. Il y a d’ailleurs beaucoup plus de similitudes que de différence entre toutes les formes de violence.

Les troubles de la personnalité

Se pose naturellement une question : qu’est-ce qui peut expliquer le passage à l’acte dans la violence ? Si on s’en réfère au DSM V, manuel qui recense les critères diagnostiques, les auteurs de violence sexuelle (je parle là uniquement des auteurs adultes) présentent généralement des traits de personnalité antisociale. Ils peuvent aussi présenter d’autres traits de personnalité pathologiques, par exemple pour certains des traits narcissiques, pour d’autres des traits paranoïaques, etc. Mais pour rendre le propos plus clair, on va aujourd’hui se concentrer sur la personnalité antisociale.

J’ouvre ici une petite parenthèse : Qu’est-ce qu’un trouble de la personnalité ? C’est un ensemble de traits de personnalité pathologiques, résultat de la manière dont la personnalité s’est construite, dont les comportements inadaptés sont à mettre en lien avec des croyances profondes.

Nous allons maintenant nous pencher plus précisément sur les caractéristiques de la personnalité antisociale.

Les comportements violents, chez l’adulte, résultent de la manière dont la personnalité se structure, s’organise, et des croyances de fond qui imprègne ce fonctionnement. Aaron Beck, grand psychiatre américain a établi une correspondance entre chaque trouble de la personnalité et les croyances de fond qui lui sont associées. D’après son travail et son questionnaire PBQ, les croyances de fond associées à la personnalité antisociale sont notamment : « La vie est une jungle où le plus fort survit. » ou encore « Il est parfaitement acceptable de mentir et de tricher tant que l’on n’est pas découvert. »  Donc évidemment, les passages à l’acte violents sont à mettre en lien avec ces croyances de fond.

Si je résume, dans la personnalité anti-sociale on trouve : une non intériorisation des règles sociales, un rapport de domination, une absence d’empathie.    

Est-ce une fatalité?

Face à cela, la dimension pénale parait essentielle, centrale. Est-ce le cas en France aujourd’hui ? Malheureusement non, les chiffres l’attestent. Seuls environ 10% des dépôts de plainte pour violence sexuelle donnent lieu à condamnation chaque année, d’après les chiffres du gouvernement. Et comme toutes les victimes ne portent pas plainte, on tombe à moins de 1% de condamnations au total, d’après plusieurs estimations, que les victimes soient des femmes ou des enfants. Ces chiffres montrent une forme d’impunité dans les faits, au niveau collectif et qui pose problème. Ces chiffres attestent que la lutte contre les violences sexuelles aujourd’hui en France n’est pas efficace.   

Si on comprend que le manque d’empathie et le rapport de domination sont au cœur du passage à l’acte, on comprend aussi que les violences sexuelles ne sont pas une fatalité, qu’il est possible de les réduire par la prévention, par le biais de l’éducation, et notamment l’éducation au respect et à l’empathie, dans le champ de la sexualité. Cette approche préventive, si elle était déployée de façon conséquente pourrait d’ailleurs être un outil très utile pour faire diminuer les violences sexuelles.

Faire la part des choses entre passé et présent

Il est important ici d’ajouter une précision. Dire que les auteurs de violences sexuelles ne sont pas des « malades mentaux » ne signifie pas qu’ils n’ont pas souffert, quand ils étaient enfants. Quand je creuse dans le passé de mes patients auteurs de violence, ils ont un point commun : ils ont été soi victimes soi témoins dans leur enfance de violences qui les ont traumatisées (violences sexuelles ou pas, cela peut être également des violences physiques ou psychologiques).

Une personne dans leur entourage, souvent un parent, était violent. Mais cela ne signifie pas qu’ils souffrent en tant qu’adultes, c’est là une subtilité qu’il faut bien comprendre. L’enfant intérieur blessé est enfoui tout au fond de l’inconscient, ils n’y ont souvent pas accès, ils ne ressentent donc pas la souffrance de cet enfant intérieur. C’est justement pour l’empêcher d’émerger qu’il la projette sur l’enfant ou la femme en face d’eux. Ils éjectent le problème à l’extérieur. C’est un dysfonctionnement, mais c’est un dysfonctionnement qui fait souffrir uniquement la victime.

L’auteur de la violence, lui, ne ressent pas de souffrance en étant violent. C’est très important de bien le comprendre, de l’avoir en tête, pour ne pas tomber dans le piège de la victimisation. En effet, bien souvent, les auteurs de violence se victimisent. C’est toujours la faute de l’autre, ils se décrivent comme fragiles et malheureux. Ce récit, cette victimisation, vise en fait à ne pas subir les conséquences de leurs actes. Elle n’a rien à voir avec la véritable souffrance, enfouie, et qui pour le coup est souvent peu accessible à la conscience.

Les deux idées reçues dont on vient de parler sont vraiment très répandues, on les entend communément. Les deux autres idées reçues que je vais exposées à présent sont moins fréquentes. Mais comme on les entend parfois, il m’a tout de même semblé intéressant de les exposer ici.

Passion ou domination?

Troisième idée reçue : Certains pensent que, dans les cas d’inceste ou de viol conjugal, l’auteur de la violence aime sa victime mais de façon passionnelle, de manière trop intense et que c’est cela qui explique le passage à l’acte : l’amour, la passion.  

Dans les cas d’inceste

Pour contredire cette idée reçue, il est intéressant de faire un détour par l’éthologie. Les éthologues observent les comportements des animaux. Quand ils mettent deux primates dans un espace clos, l’un adulte éducateur, l’autre bébé de sexe opposé, il n’advient pas d’acte sexuel quand le bébé grandit, ce qui fait conclure à Boris Cyrulnik que, je cite « l’attachement engourdit les désirs et les transforment en angoisse ». Dit autrement : c’est la relation d’attachement qui protège, qui rend impossible l’inceste. Le lien d’attachement étant par définition une autre façon de désigner le lien d’amour parent-enfant, on peut en déduire qu’un parent qui aime l’enfant, qui a établi un lien d’attachement avec lui ne va pas l’agresser sexuellement. C’est incompatible. Donc l’inceste n’est pas un amour trop vif, c’est au contraire le signe d’un lien dysfonctionnel, qui n’est pas basé sur une relation d’attachement, mais sur un rapport de domination.

Qu’en est-il concernant le viol conjugal ?

Le conjoint violeur cède-t-il à une forme de passion dévorante ? La passion est-elle une cause de violence sexuelle ?

Côté patientes, de nombreuses femmes m’ont relaté que les viols conjugaux qu’elles avaient subis s’inscrivaient dans un cadre plus large de violences conjugales. Soit de la violence physique et psychologique, soit une forme plus insidieuse et perverse de violence, basée plutôt sur des humiliations, moqueries et mensonges. D’autres patientes qui ont subi des viols conjugaux me disent qu’ils ont eu lieu en fin de relation, quand cette dernière était conflictuelle, tendue, qu’il n’y avait plus d’amour. Donc dans les récits qui sont faits, on est bien loin des envolées lyriques sur la passion amoureuse et ses soi-disant débordements.

En revanche, de nombreux patients et patientes m’ont déjà raconté des passions amoureuses qu’ils avaient vécu. Jamais il n’était question de viol, absolument jamais.

Donc là encore, la mise en avant de la passion amoureuse est en fait un argument utilisé par les auteurs de viol pour se dédouaner, se déresponsabiliser, mais ce type d’argument ne tient pas quand on le confronte à la réalité.

La question de la responsabilité

Quatrième et dernière idée reçue : Certaines victimes auraient une part de responsabilité dans ce qui leur arrive. Elles auraient un comportement qui n’est pas clair. Par exemple, certaines se mettraient en danger. Ou encore, d’autres auraient pu se défendre et ne l’ont pourtant pas fait (cas des violences sexuelles sur des femmes adultes). D’autres encore sont restées en couple avec leur violeur ce qui amènent certains à penser qu’elles seraient en partie responsables des agressions suivantes. 

Or soyons clair : chacun (chaque adulte) est responsable de ses propres actes. Si certaines femmes se mettent parfois en danger, par exemple en acceptant d’aller chez un inconnu, ou de laisser entrer un inconnu chez elle, c’est la plupart du temps parce qu’elles ont déjà subi d’autres agressions sexuelles avant, qui les ont traumatisées et qui ont déclenché un processus inconscient, de revictimisation. Pour autant, l’auteur de violence reste le seul responsable de ses actes, de ses comportements.

Sidération et emprise

Et l’idée que les femmes pourraient se défendre ? Rappelons ici qu’il y a un différentiel de force physique entre l’agresseur et la victime qui fait que se défendre, c’est plus facile à dire qu’à faire. En plus de cela, quand on subit une violence on est dans un premier temps plongé dans la sidération, donc immobilisé par la peur. Le système attaque fuite ne fonctionne plus, n’est plus accessible. Donc non, les femmes ne sont pas responsables de ne pas se défendre plus. C’est plutôt à la société de trouver des solutions pour faire diminuer les violences sexuelles.

Je l’ai déjà évoqué brièvement un peu plus tôt mais cela fera surtout l’objet d’un autre podcast.

Pour finir, oui, en cas de viol conjugal certaines femmes restent en couple avec leur violeur. Pourquoi ? Et bien parce qu’elles sont sous emprise. Et être sous emprise, c’est être sous l’influence de l’autre. Avoir de l’emprise sur quelqu’un, c’est prendre le pouvoir sur l’esprit de l’autre. On le voit ici, être sous emprise, c’est encore être victime. Donc même quand la victime ne part pas, elle est 100% victime et l’auteur de la violence sexuelle en est 100% responsable.

Résumons-nous

Résumons pour l’instant ce que l’on a évoqué aujourd’hui. La violence sexuelle ne résulte pas d’une pulsion incontrôlable puisque l’auteur de la violence s’assure au préalable que le contexte la rend possible. Parfois même, il planifie et organise son acte de violence. Donc non, les pulsions sexuelles existent mais elles sont contrôlables, elles ne ressemblent pas à l’impulsivité.

Et puis non, l’auteur de violence sexuelle n’est pas une personne qui aurait une personnalité saine mais qui aurait la malchance d’avoir une maladie mentale, c’est quelqu’un qui présente un trouble de la personnalité. De ce fait, il est nécessaire d’avoir une approche pluridisciplinaire, qui comporte notamment des sanctions pénales pour les adultes. De la prévention aussi, avec l’éducation à la question du consentement pour nos adolescents. A l’heure actuelle, au-delà des incantations, force et de constater, chiffres à l’appui que tout ceci n’est globalement pas mis en place, n’est malheureusement pas effectif.

Troisième idée reçue, la violence sexuelle résulterait d’un amour trop passionné. Cette idée ne résiste pas à l’épreuve de réalité. Les viols conjugaux s’inscrivent dans un contexte de violence conjugal plus global, que celle-ci soit manifeste ou insidieuse. Par ailleurs, du côté de l’inceste, lien d’attachement et violence sexuelle sont incompatibles donc répétons-le : il n’y a aucune forme d’amour dans la violence sexuelle, il y a domination, il y a prédation.

Enfin, les femmes victimes n’ont aucune responsabilité dans les violences sexuelles qu’elles subissent pour une raison très simple : chaque adulte est responsable de ses propres actes.

J’espère que ce podcast vous a intéressé. J’aurai grand plaisir à vous retrouver pour approfondir certains sujets : le fonctionnement pervers, les conséquences des violences pour les victimes, la manière dont la société peut mieux prendre en charge ce fléau. J’ai hâte de vous retrouver pour explorer tous ces sujets. En attendant, n’hésitez pas à vous abonner et surtout prenez soin de vous.

SOURCES

American Psychiatric Association, DSM V Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux, Issy-les-Moulineaux, Elsevier Masson, 2015

Boris Cyrulnik, Les nourritures affectives, Odile Jacob, 2000

Aaron T. Beck and Judith S. Beck, PBQ Questionnaire des croyances, 1995

https://arretonslesviolences.gouv.fr/