Aller au contenu
Accueil » Episode » Femmes victimes, hier et aujourd’hui

Femmes victimes, hier et aujourd’hui

Femmes victimes, hier et aujourd'hui
/

alt= Femme seule face à la violence

Un état des lieux saisissant

Nous allons aujourd’hui parler des violences sexuelles sur les femmes. Les violences sexuelles sur les enfants feront l’objet d’autres podcasts. En France, d’après les chiffres du gouvernement, chaque année, 94000 femmes sont victimes de viol – sachant que c’est une estimation basse. La représentation la plus classique du viol est celui commis par un inconnu, dans la rue. Ce cas de figure représente pourtant moins d’un sur dix. En effet, dans 91% des cas, l’auteur de la violence est une personne connue de la victime. Fait encore moins connu, dans 47% des cas, on a affaire à des viols conjugaux. 47%. Près d’un cas sur deux. C’est pourtant un phénomène dont on parle peu, qui reste largement tabou. Sa prise en compte est d’ailleurs récente puisque le viol conjugal n’est inscrit dans le code pénal que depuis 2006 !

Avant d’aller plus loin, définissons les termes que nous allons utiliser aujourd’hui. Depuis 1980, la définition du viol en droit français est la suivante : Acte de pénétration sexuelle commis sur autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. Le viol est un crime. Petite précision importante, l’acte sexuel commis sur une personne pendant son sommeil constitue aussi un viol, reconnu judiciairement.

Le viol devient conjugal quand il a lieu entre époux, entre concubins ou pacsés, mais aussi entre ex-époux ou ex concubins. Le viol peut être sanctionné de quinze ans de prison maximum, le viol conjugal de vingt. Voilà pour la théorie. Et dans les faits ? Seules environ 12% des victimes portent plainte. Dans plus de 70% des cas, les plaintes sont simplement classées sans suite, le Procureur les met directement à la corbeille. Et les condamnations équivalent à moins de 1% des faits. Les sanctions sont donc prévues mais rarement effectives. Il y a une forme d’impunité de fait.

Un peu d’histoire

Alors pour aborder le sujet des femmes victimes de viol, nous allons commencer par dézoomer et voir comment les violences sexuelles sur les femmes ont été prises en compte à travers l’histoire. Pourquoi ce détour ? Et bien parce qu’il permet de mieux comprendre, d’éclairer les difficultés, les barrières auxquels sont confrontées aujourd’hui les victimes.

Remontons tout d’abord dans l’Antiquité. Les archéologues ont trouvé très peu d’éléments sur le sujet des violences sexuelles. Dans les écrits grecs et latins, le sujet est aussi très peu abordé, ce qui constitue en soi une information sur la place occupée par cette question à cette période de l’histoire. Quand condamnation morale il y a, elle est plutôt basée sur le non respect des règles religieuses. L’atteinte à la femme est jugée avant tout comme une atteinte à l’honneur de son époux. On ne trouve pas vraiment de notion de violence sexuelle dans le couple, qui demeure un impensé. Quant aux esclaves, ils sont considérés comme la propriété de leurs maîtres et à ce titre, les violences sur eux, quelles qu’elles soient sont peu ou pas condamnées, tant judiciairement que socialement.

Au Moyen Age, le viol est perçu comme une atteinte à l’ordre moral, aux valeurs chrétiennes. L’homme violent est condamné moralement, mais la femme victime l’est tout autant. Si elle est une jeune femme non mariée, elle perd son honneur, elle devient inépousable en perdant sa virginité. Elle se voit souvent contrainte de quitter sa famille et se retrouve exclue de la société, ce qui la mène souvent, de fait, et par défaut, vers la prostitution. Les femmes ont donc intérêt à se taire, à cacher, à rendre secret, car être victime de viol, si cela se sait, revient à être victime en plus, et dans le même temps, d’exclusion sociale.

Sous l’Ancien Régime

George Vigarello, dans son Histoire du viol, nous en expose son traitement par la société à partir du XVIème siècle. Sous l’Ancien Régime, sexualité et violences sexuelles sont peu différentiées. Elles sont toutes les deux associées à la luxure et au péché, donc condamnées religieusement, moralement. Le viol est perçu comme une transgression morale, un peu au même titre que l’adultère. Il est avant tout un crime contre les bonnes mœurs. Il n’y a pas de préoccupation pour l’impact psychologique du viol sur la victime. D’ailleurs la victime, surtout si elle est une adulte, est soupçonnée d’être partie prenante. De ce fait, son honneur, sa réputation, sont entachés.

Du point de vue judiciaire, les agressions sexuelles sont mal définies, même si des sanctions sont prévues par la loi contre les atteintes aux personnes, plus clémentes toutefois que les sanctions contre les atteintes aux biens, comme les vols par exemple. Les cas portés en justice sont rares et donnent lieu plus rarement encore à condamnation. Plus que la justice, les histoires de violences sexuelles, très souvent tues, cachées, se règlent parfois au sein de la communauté, avec des vengeances exécutées par des membres de la famille, vengeances visant à « laver l’honneur de la famille. »  

Au siècle des Lumières

La femme, nous l’évoquions un peu plus tôt, est supposée coupable et consentante des violences sexuelles subies. Donc si elle est mariée, elle est suspectée d’adultère. Les débats sur l’innocence ou la culpabilité de la femme violée ont traversé les siècles. Au XVIIIème siècle, pourtant siècle des Lumières, le débat penche clairement du côté de la culpabilité féminine. Les philosophes des Lumières ont sur le sujet un point de vue… surprenant. Tant Voltaire que Rousseau et Diderot estiment qu’un homme seul ne peut tout simplement pas violer une femme car cette dernière pourrait se défendre et empêcher l’agression de se produire, si elle le voulait.

A leur décharge, à l’époque, l’effet de sidération n’était pas connu. La sidération est la première réaction face à une situation traumatique, elle immobilise la victime. Mais à l’époque surtout, le différentiel de force physique entre homme et femme était surprenamment minimisé, non pris en compte. J’ouvre ici une parenthèse pour évoquer mon expérience clinique. Pour avoir entendu de nombreux récits de femmes victimes de viol, l’usage de la force physique par leur agresseur est un élément important. La victime se retrouve contrainte et immobilisée physiquement dès le début de l’agression. Dans les récits de femmes victimes la contrainte par la force est très souvent centrale. 

Si on résume, pendant des siècles, voire des millénaires, les violences sexuelles ont été surtout réprouvées comme des atteintes aux bonnes mœurs et à la religion. Et depuis le Moyen Age, au moins et jusqu’au siècle des Lumières, les femmes victimes étaient considérées comme suspectes, elles étaient perçues comme déshonorées et de ce fait, exclues socialement.

Une progressive prise en compte

La Révolution française rebat les cartes et permet une première amélioration, dans le traitement du sujet. Ainsi, dans le Code pénal de 1791, le viol est puni de six ans de fers. Mais la société évolue plus lentement que la loi et dans les faits, le viol reste largement non sanctionné

Même si dès la fin du XIXème siècle, le développement de la psychologie a permis d’enfin s’intéresser aux conséquences des violences sexuelles sur les victimes, il a fallu attendre les mouvements féministes, dans les années 70 pour que le regard porté sur les violences sexuelles évolue sensiblement. Et puis plus récemment, bien sûr, en 2017, le mouvement MeToo a contribué à faire évoluer les représentations sociétales. Finalement, à mesure qu’une conception plus égalitaire entre hommes et femmes se diffuse, la femme victime est davantage perçue et reconnue comme telle. On s’intéresse davantage à son vécu.

Cependant, c’est d’autant plus vrai que la violence sexuelle est le fait d’un inconnu. (Rappelez-vous moins d’un cas sur dix). Pour les viols conjugaux, il faudra encore attendre.

La conception qui a prévalu jusqu’à la fin du XXème siècle est issue du droit canonique : pour l’Eglise, la consommation du mariage est une condition de sa perfection, c’est donc dans ce droit canonique que l’on trouve la notion de devoir conjugal. Dans cette conception, le mariage vaut consentement pour tous les rapports sexuels qui se déroule dans son cadre.

La notion de présomption de consentement dans le couple reste largement consensuelle jusqu’au XXème siècle. Elle ne sera supprimée qu’en 2010. Quant au viol conjugal, sa première condamnation en France date de 1992, jugement qui fera jurisprudence, jusqu’à ce qu’enfin, en 2006, la loi du 4 avril reconnaisse la spécificité du viol entre époux.

Quelles sont les conséquences à long terme de ces viols ?

Il existe beaucoup d’études au niveau international sur ce sujet, mais dans cet ensemble, il n’est pas toujours évident de différencier ce qui appartient aux violences sexuelles subies au cours de l’enfance et celles subies à l’âge adulte, d’autant qu’un certain nombre de femmes victimes ont déjà subi des sévices sexuels enfant.

Les études sur les conséquences d’une agression sexuelle à l’âge adulte ont, en tout cas, été synthétisées par l’Institut national de santé publique du Québec, voici ce qui en ressort : la principale conséquence à long terme, des violences sexuelles subies à l’âge adulte est le syndrome de stress post-traumatique. Un syndrome de stress post-traumatique, en très très résumé, ce sont des flash-backs, un envahissement émotionnel, des cauchemars, un évitement de tout ce qui peut rappeler le souvenir traumatique et aussi, souvent, des symptômes dissociatifs. N’hésitez pas à aller voir, si vous le souhaitez, le podcast, La mémoire traumatique, que j’ai fait à ce sujet.

Une importante symptomatologie

Mais il n’y a pas que le trauma. Les femmes victimes développent d’autres troubles. Elles ont davantage de problèmes psychosomatiques, gynécologiques, mais aussi de troubles de la sexualité (ça ne parait tout de même pas surprenant). Le risque s’accroit également de développer une addiction par exemple à l’alcool, de développer des troubles anxieux ou une dépression, avec un risque suicidaire également plus élevé que la moyenne. Une autre conséquence de la violence subie est aussi la méfiance, dans la relation à l’autre. Là aussi, rien d’étonnant.

En résumé, les violences sexuelles ont beaucoup d’impacts à long terme sur la santé des victimes. Il y a le traumatisme, mais aussi souvent un développement d’autres troubles psychiques, de troubles aussi dans le corps, dans la sexualité, dans les relations intimes. Ça touche de nombreuses sphères de la vie des victimes. On peut dire que la vie des victimes est perturbée, dégradée, et ceci durablement.

Aujourd’hui, nous allons surtout nous intéresser aux conséquences pour les femmes en termes de croyances et de pensées, nous allons donc traiter de la sphère cognitive.

Une perte d’estime de soi

Soyons clair, être victime de violence sexuelle engendre une perte nette d’estime de soi, l’estime de soi est cassée, abimée, autant que le corps, dans cette affaire. Que se disent les victimes sur elles-mêmes ? Elles disent : « Je suis sale », « Je suis souillée », « J’ai perdu ma dignité ». Ça rappelle quelque chose, n’est-ce pas ? Ces croyances sont identiques aux représentations sociétales des violences sexuelles au cours de l’histoire. Pendant des millénaires, les victimes ont été regardées avec suspicion, comme si elles portaient la culpabilité de la violence sexuelle au même titre que l’agresseur, voire plus.

Pendant des siècles, les victimes étaient considérées comme des parias, rejetées par leur famille et par la société. Donc au regard de cette histoire collective si lourde pour les victimes et malgré l’éclairage des recherches scientifiques de ces dernières décennies, il n’est finalement pas étonnant que les femmes victimes de violence sexuelle aient cette image très détériorée d’elles-mêmes, qu’elles se perçoivent comme souillées, comme ayant perdu leur dignité. En tout cas, l’hypothèse qu’il y ait un lien de causalité entre l’histoire des représentations collectives au sujet des violences sexuelles et les représentations des victimes au sujet des violences subies parait tout à fait plausible et intéressante.      

Un autre type de croyances négatives revient aussi régulièrement, dans les témoignages de victimes. Elles se perçoivent souvent comme faibles, n’ayant pas su se défendre. Elles me disent : c’est vrai, j’ai dit non. C’est vrai que je me suis débattue au début. Mais ça n’a pas suffi. Donc le fait de subir une violence malgré le fait d’avoir exprimé leur désaccord leur renvoie une image de faiblesse.

Enfin, particularité des viols conjugaux, que l’on retrouve aussi, dans une moindre mesure, dans le cas des viols par un ami ou un flirt : la trahison. Celui qui était aimé, celui que l’on a choisi, à qui on a choisi de faire confiance, finalement trahit. La blessure engendrée par la trahison est douloureuse. Elle renvoie à la victime une mauvaise image d’elle-même : l’image d’une personne naïve. Si j’ai choisi cet homme, si j’ai cru pouvoir lui accorder ma confiance, si je n’ai pas vu qui il était vraiment, alors cela signifie que je ne peux pas me faire confiance, que je suis naïve.

Spécificité des viols conjugaux

J’ouvre ici une parenthèse sur les victimes de viols conjugaux. Celles qui viennent consulter me parlent rarement de viol, elles utilisent en général plutôt l’expression « rapports forcés ».

Elles disent : « Il y a eu avec mon conjoint des rapports forcés ». Penser, concevoir le viol conjugal alors que d’une part, c’est encore un sujet tabou, peu connu dans la société, même s’il représente 47% des viols subis par les femmes, et que d’autre part, cela revient à prendre conscience que l’être aimé, celui que l’on a choisi, celui dont on a pu penser, dans certains cas, que c’était l’amour de sa vie, et bien cet homme-là est un violeur, c’est douloureux. Ça génère aussi bien souvent un conflit de loyauté, par exemple : c’est mon mari, le voir comme un violeur est-ce le trahir ? Il faut souvent du temps et du soutien pour admettre la réalité, pour digérer l’information, mais cette prise de conscience est aussi salutaire, libératrice. Car alors la sphère cognitive est enfin en cohérence, avec ce que dit le corps.

Une relation basée sur la domination

Mais il n’y a pas que cela. Il faut maintenant aller plus loin. Dans quels cas les victimes relatent-elles des viols conjugaux ? Il y en a principalement trois : dans le cadre de violences conjugales plus larges, avec aussi des violences physiques et psychologiques. Dans des cas de manipulation mentale – ces deux cas peuvent être aussi intriqués, naturellement. Et aussi dans des cas où la violence advient au moment de la séparation voire après la séparation. Dans ce troisième cas de figure, on peut faire l’hypothèse que l’homme n’accepte pas la séparation et qu’il considère son ex-femme comme lui appartenant. Le viol vient exprimer cette possession de l’autre, de son corps, au-delà de la séparation.

On peut constater un point commun évident entre ces trois cas de figure – pour rappel dans le cadre d’une violence conjugale plus globale, d’une manipulation mentale, d’une séparation non acceptée : le passage à l’acte s’inscrit dans un rapport de domination.

Les quatre croyances les plus fréquentes

Revenons à présent au cas général et résumons les différents types de croyances. Il y en a quatre principales, trois dont nous avons déjà parlées et que l’on pourrait résumer ainsi : je suis sale, je suis faible, je suis naïve – elles sont solidement ancrées dans le psychisme des victimes. Elles sont aussi solidement associées à une émotion, la honte. Et comme la victime se sent honteuse et responsable, elle se sent aussi, fort logiquement coupable. Donc la croyance : « C’est ma faute » vient compléter les trois autres.

Honte, culpabilité, confusion, autant d’émotions qui détruisent la victime à petit feu et qu’un travail de réattribution des responsabilités va pouvoir traiter.

Faire évoluer les croyances destructrices

Justement, quel travail thérapeutique permet-il à la victime de faire évoluer ses croyances ? Et bien un travail cognitif qui est d’autant plus efficace qu’il intervient en parallèle d’un travail émotionnel sur le traumatisme, par exemple avec la technique EMDR.

Tout d’abord, il s’agit et avant tout de croire la victime, c’est le plus important, c’est l’essentiel. La victime est déjà dans la confusion, la culpabilité, la honte, donc si on ne la croit pas, si on met en doute ses propos, c’est très douloureux. Ça appuie justement là où ça fait mal. Donc écouter et croire, c’est le point de départ. Mais cela n’est pas suffisant.

Reconnaitre l’autre comme victime

La deuxième étape, c’est de reconnaitre la personne dans sa place de victime. Cela ne signifie pas du tout l’enfermer dans une position de victime, comme on peut le lire ça ou là, ça veut dire l’aider à prendre conscience de sa place de victime, pour qu’elle puisse, dans un temps ultérieur, l’inscrire dans son histoire, dans son passé donc s’en détacher émotionnellement. Ce détachement parait difficile – est-il seulement possible ? – s’il n’y a pas eu d’abord reconnaissance, par un regard extérieur qui vient valider l’expérience vécue dans le corps, et dans un deuxième temps, reconnaissance par soi-même de son vécu de victime.

Le corps sait, il sait dès le départ. La sphère cognitive a besoin à son tour, dans l’après-coup, de rendre l’expérience vécue intelligible. Donc reconnaitre la personne dans sa place de victime c’est aussi une étape essentielle. Mais cela passe également par le fait de nommer précisément les faits : viol, agression sexuelle, viol conjugal. Quand les victimes racontent, elles utilisent souvent des périphrases, des mots vagues et flous. Face à ce discours vague, le thérapeute reprend avec des mots précis : ce que vous me racontez là correspond à un viol, à une agression sexuelle etc. cela aide grandement les victimes, qui sont dans la confusion, à y voir plus clair, à accepter leur place de victime. Le flou sémantique entretient la confusion. La précision sémantique permet à l’inverse de sortir la victime de la confusion, elle est indispensable.

La réattribution des responsabilités

La réattribution des responsabilités est aussi au centre de l’intervention thérapeutique. La victime se sent responsable, coupable de la violence subie et l’auteur de la violence, lui, ne ressent le plus souvent ni honte, ni culpabilité. Ce n’est pas logique, mais c’est ainsi. Les victimes ont donc besoin de réattribuer les responsabilités. Ce processus nécessite de l’empathie, de la bienveillance, plusieurs échanges et parfois de la répétition. On fait ce travail méthodiquement, en prenant une par une toutes les croyances négatives. Ainsi, la première d’entre elle, « Je suis sale » : Vous dites que vous êtes sale, est-ce vous qui êtes sale ou bien le comportement de l’auteur de l’agression, qui est sale ? Etape par étape, répétition après répétition, la honte va perdre du terrain.   

Autre croyance : Je suis faible. Je suis faible parce que je n’ai pas pu me défendre, pas pu empêcher le viol. Face à quelqu’un de plus fort physiquement, ne pas pouvoir empêcher la violence ne signifie pas être faible, cela signifie que l’on subit un rapport de force qui est défavorable. Ça n’a rien à voir avec le fait d’être faible ou fort. On peut tout à fait être forte mais dans un rapport de force défavorable, ne rien pouvoir faire pour éviter de subir la violence. Donc dire : l’autre est dans un rapport de domination avec moi et il a abusé de sa force physique dans ce cadre est une vision alternative beaucoup plus juste.

Traiter la culpabilité

Troisième pensée : C’est ma faute. La culpabilité est écrasante pour les victimes de violence sexuelle. Elle est une réaction fréquente suite à toutes formes de violences, mais suite à une violence sexuelle, elle est à son paroxysme. Pour traiter cette culpabilité, on peut, comme on l’a fait précédemment rappeler le différentiel de force physique, qui peut être objectivé, si on regarde la taille et le poids de chacun, notamment. On peut aussi évoquer la sidération qui est l’autre facteur qui rend la défense impossible, sur le moment. La sidération, dans un premier temps, immobilise la victime.

Rappelons que les violences sexuelles sont parmi les plus destructrices, il est donc fort logique que les victimes soient immobilisées par la sidération, c’est ainsi que fonctionne le cerveau humain, face aux situations de danger trop stressantes. Donc le seul fautif, le seul responsable est l’ auteur de l’agression. Et oui, comme on l’a vu dans le podcast sur les idées reçues, la victime peut s’autoriser à ressentir de la colère vis-à-vis de cet agresseur, qui n’est pas un « malade », qui n’est pas quelqu’un qui ne se rend pas compte de ce qu’il fait, mais une personne qui fonctionne dans un rapport de domination.  

Quatrième et dernière pensée : Je suis naïve. Là encore, la victime s’autodévalorise et se sent responsable. Mais si on réfléchit, qui est responsable d’une trahison, qui est responsable d’un abus de confiance ? Est-ce celui qui trahit, ou celle qui fait confiance, parce que la personne en face est le conjoint ou un amant ou un ami ? Et puis, rappelons-le ici, la violence sexuelle advient le plus souvent dans le cadre d’une relation d’emprise, d’un abus de pouvoir plus global, d’un rapport de domination.

L’emprise peut être le fait de manipulateurs, qui vont séduire narcissiquement leur victime, leur en mettre plein la vue. Ou bien souffler le chaud et le froid pour jeter la confusion dans l’esprit de l’autre. Emprise il y a parfois aussi dans la tyrannie, le pouvoir exercé par la peur, la menace et la violence physique. Bref, se retrouver piéger dans une relation d’emprise, c’est encore être une victime. Ce n’est pas être naïve, c’est être la proie d’un prédateur.

Pour conclure

On l’a vu, les femmes victimes de viol sont hantées par des croyances, des représentations à la fois négatives et non rationnelles, qui en réalité sont celles qui habitent notre histoire collective, qui continuent à se diffuser dans la société, et qui détruisent les femmes victimes à petit feu. Heureusement, il est possible de faire évoluer les croyances des victimes pour les libérer du poids d’une responsabilité qui n’est pas la leur. Ce travail, individuel, espérons peut-être que nous puissions aussi le réaliser, l’accomplir, à l’échelle de la société – mais ça, c’est encore une autre histoire. 

Voilà, c’est fini pour aujourd’hui. J’espère que ce podcast vous a intéressé. J’ai hâte de vous retrouver pour évoquer d’autres sujets. D’ici là, n’hésitez pas à vous abonner et surtout, prenez soin de vous !

SOURCES

Livres :

Aaron Beck, La thérapie cognitive et les troubles émotionnels, De Boeck, 1976

Georges Vigarello, Histoire du viol XVIème-XXème siècle, Paris, Le Seuil, 1998

Sur Internet :

Sandra Boehringer, Les violences sexuelles dans l’Antiquité : où se joue le genre ?, in https://books.openedition.org/

Pierrette Lemoine, Evolution du concept de violence sexuelle à travers l’histoire, in https://www.santementale.fr/

Aline Leriche, Petite histoire du viol conjugal et de la honte, Cairn.info, dans Le Sociographe 2008/3 (n°27), pages 85 à 94, in https://www.cairn.info/

Lettres de l’Observatoire National des violences faites aux femmes, in https://arretonslesviolences.gouv.fr/

Myriam Soria, Violences sexuelles à la fin du Moyen Âge : des femmes à l’épreuve de leur conjugalité ? dans Dialogue 2015/2 (n° 208), pages 57 à 70, https://www.cairn.info/