
Aujourd’hui, nous allons parler du fonctionnement pervers. C’est un fonctionnement que l’on retrouve très souvent, dans les récits de violences sexuelles sur les enfants, qu’il s’agisse d’inceste ou de pédocriminalité. Dans la plupart des récits de victimes enfants, les violences sexuelles se produisent sans violence apparente. Sans violence apparente ne signifie pas sans violence, c’est un point à souligner. Vous l’aurez compris, en parlant du fonctionnement pervers, on va surtout évoquer l’inceste et la pédocriminalité. Mais pas que. Dans le harcèlement sexuel, au travail, et aussi dans certaines relations de couple, on voit parfois des mécanismes similaires se mettre en œuvre, donc on en parlera aussi aujourd’hui, à la fin de ce podcast.
Alors pour bien comprendre de quoi on parle, il est important pour commencer de se mettre d’accord sur les termes. Perversion provient du latin per vertare qui signifie invertir, changer le sens. Invertir, changer le sens. C’est vraiment cette action-là qui est au cœur du processus pervers donc avec la racine du mot, on comprend déjà en profondeur comment agit le pervers et on comprend aussi la première conséquence de son action pour la victime : générer de la confusion. Face à un pervers, la victime ne sait plus où elle habite, elle ne comprend plus rien, elle a l’impression de devenir folle.
Le pervers change le sens. Il veut utiliser l’autre à son seul profit, pour son plaisir sexuel ? Il fait passer cela pour de l’amour, pour une marque d’attention, d’affection. Le pervers invertit. Il agresse sexuellement l’enfant ? Il explique à l’enfant que c’est de sa faute. Il procède à une inversion de culpabilité.
Paul-Claude Racamier est un psychanalyste qui a beaucoup travaillé sur un fonctionnement pervers particulier : la perversion narcissique. Selon lui, le pervers est dans le déni de tout conflit intérieur, il fait des économies de travail psychique. Qui paie la note ? L’autre, l’autre sous emprise.
Chez un pervers narcissique, les mots sont utilisés non pour communiquer mais dans un rapport de pouvoir. Et chez un pervers sexuel ? Et bien, c’est la même chose. On peut considérer que le comportement sexuel déviant est le symptôme qui signale un fonctionnement de personnalité perverse. Rappelons-le : la pédophilie est une paraphilie, c’est une maladie. La pédocriminalité, qui suppose un passage à l’acte, est par contre très souvent l’expression d’un fonctionnement de personnalité pervers.
Souvent, les victimes de sévices sexuels subis au cours de l’enfance me décrivent un agresseur gentil, tendre, attentionné. C’est parfois un membre de la famille, père, oncle ou grand-père, c’est parfois un ami de la famille, ou un professeur, ça peut aussi être un entraineur sportif. C’est quelqu’un qui gravite autour de l’enfant, qui évolue dans sa sphère intime. Quand l’agresseur est un ami de la famille, il vient souvent combler des défaillances parentales et l’enfant se met à l’adorer comme le parent qu’il aurait aimé avoir. Quand c’est un prof ou un entraineur, il est charismatique, tout le monde l’aime et l’admire. Quand c’est un membre de la famille, il est rare qu’il s’occupe au quotidien de l’enfant, qu’il s’investisse en tant que parent responsable, il va plutôt être là pour jouer avec l’enfant, il va être un complice de l’enfant, un personnage de la famille sympathique et affectueux mais pas vraiment quelqu’un qui va au charbon (s’occuper de l’enfant dans la vie quotidienne, lui faire faire ses devoirs, prendre rendez-vous chez le docteur, etc.)
Alors, pourquoi est-ce que l’auteur d’inceste ou de pédocriminalité donne souvent le change, en apparence ? Le célèbre psychanalyste Sandor Ferenzci apporte une réponse intéressante à cette question avec son concept de confusion des langues entre l’adulte et l’enfant. L’enfant est dans le langage de la tendresse et l’adulte pervers y répond dans le langage de la sexualité. La tendresse et la sexualité sont intriquées dans une sexualité adulte saine. L’enfant, quant à lui, n’est pas encore dans la sexualité, il est en recherche de tendresse et notamment de celle de cet adulte de son entourage qu’il aime. L’apparence de tendresse, d’affection permet au pervers de jeter sa victime dans une confusion sur les responsabilités de chacun, en lui faisant croire que c’est pour son bien, par amour, pour lui faire plaisir. Il emmure ainsi sa victime dans le silence. Silence de la honte, silence de la culpabilité. Il réduit le risque de se faire prendre. Cette tendresse apparente n’est ni plus ni moins qu’un procédé de manipulation mentale.
Revenons maintenant sur quelques caractéristiques de la personnalité perverse :
Première caractéristique : la transgression des règles sociales
Le pervers connaît les règles, les interdits, il les transgresse en connaissance de cause. Y compris pour le plaisir de transgresser, la jouissance de la transgression. Nombre d’entre nous peuvent l’avoir expérimenté à petite échelle, notamment à l’adolescence. Par exemple en prenant le bus sans ticket. En ne relevant pas une erreur en sa faveur, sur un ticket de caisse. Ces petites expériences de transgression peuvent provoquer une sensation de plaisir. De même que s’identifier à des héros de séries dans la transgression des règles. Et bien chez le pervers, c’est la même chose mais en beaucoup plus puissant. L’expérience de la transgression des règles est centrale, elle est une source de plaisir.
Deuxième caractéristique : l’autre traité comme un objet
Le pervers utilise l’autre, il traite l’autre comme un objet, un jouet avec lequel on s’amuse, mais aussi que l’on peut détruire, avec un plaisir sadique.
Le pervers sait déchiffrer les émotions sur le visage des autres, mais il n’en a cure, il n’a aucune empathie. Le pervers est dans la volonté de jouir sans limite, l’autre n’a d’intérêt à ses yeux qu’en tant qu’il lui permet d’accéder au plaisir. Finalement, la relation à l’autre, pour le pervers, n’est pas une fin en soi mais un moyen d’accéder au plaisir. Dans la relation perverse, l’autre est objectifié, c’est-à-dire traiter comme un vulgaire objet, et non comme un autre sujet. De ce fait, la relation perverse est une relation de type prédateur – proie.
Troisième caractéristique : la manipulation mentale
Le pervers n’est pas dans un passage à l’acte immédiat et brutal. Il planifie, il prépare le terrain. L’objectif est bien sûr de ne pas se faire prendre. Ne pas se faire prendre, cela fait partie intégrante de ce jeu consistant à transgresser les interdits. C’est ça aussi, qui est jouissif, pour le pervers, ne pas être pris la main dans le sac. Mais il y a aussi un deuxième objectif : celui de jouer avec sa victime ; abuser de la confiance de la jeune victime est aussi une source de jouissance.
Comment le pervers manipule-t-il ? En présentant très souvent un visage affectueux, attentionné, attentif. L’est-il réellement ? Non, car quand on n’a pas d’empathie, que l’on considère l’autre comme un objet, on ne peut pas en même temps l’aimer pour ce qu’il est et être soucieux de répondre à ses besoins. C’est l’un ou l’autre. Donc quand le pervers se montre tendre, amusant, proche de l’enfant, c’est pour créer un lien avec l’enfant, un lien qui va permettre au piège de se refermer sur la victime. En effet, après avoir gagner la confiance de l’enfant, avoir créer chez lui une relation d’attachement, le pervers peut organiser une situation où il se retrouve seul avec sa victime et passer à l’acte, sans forçage, sans contrainte physique. Rappelez-vous Ferenczi, la confusion des langues – langue de la tendresse versus langue de la sexualité. Le pervers aura beau jeu de faire croire à l’enfant que cette agression est une manifestation d’amour. Et l’enfant lui, qui sent bien qu’il y a quelque chose d’interdit, ne peut pas remettre en cause le comportement de cet adulte en qui il a confiance. Il n’en a ni la maturité ni le discernement. Donc le pervers abuse de la confiance de sa victime autant qu’il l’agresse sexuellement.
Donc, en résumé, le pervers a trois caractéristiques principales : il transgresse les règles sociales, il traite l’enfant comme un objet qu’il peut utiliser, il manipule les autres.
Être la proie d’un pervers entraine deux conséquences majeures pour les victimes : la culpabilité et la confusion. La culpabilité de l’enfant victime de violence sexuelle est immense, elle le ronge, elle le détruit à petit feu. Cette culpabilité est directement liée à l’inversion de culpabilité, à laquelle procède l’agresseur. Souvent, le pervers dit à sa victime qu’il le fait pour lui faire plaisir, pour son bien. C’est bien sûr entièrement faux puisqu’on l’a vu, le pervers cherche la jouissance, à travers l’objectification de l’autre. Mais un tel discours a pour effet de culpabiliser la victime, ce qui souvent l’enferme dans le silence.
Travailler à réattribuer la responsabilité de la violence sexuelle est très compliqué, beaucoup plus que pour les autres formes de violences. Et ceci pour une raison simple : la victime a été agressée sexuellement mais tout autant abusée, manipulée en raison de son jeune âge, de son manque de discernement. Donc elle se sent coupable.
La confusion est elle aussi majeure. L’enfant ne comprend pas, ne peut pas comprendre, il n’est pas outillé pour cela. Et la victime devenue adulte reste figée dans cet état d’incompréhension, de confusion. Est-ce de l’amour ou est-ce de la violence ? Qui est coupable de cela ? Et pourquoi le cerveau qui raisonne et le cerveau émotionnel donne des réponses différentes à ces deux questions ? En raison de la confusion, la victime a l’impression de devenir folle.
Deux métaphores sont éclairantes pour libérer les victimes de violences sexuelles perverses de la culpabilité et de la confusion. Je précise bien entendu qu’il s’agit de métaphores et non de comparaisons, comparaisons qui seraient bien entendu absurdes là où il n’y a que métaphores, puissantes et efficaces.
La première part d’un constat : Un pervers a les capacités intellectuelles et physiques d’un adulte, mais il donne à voir, dans ses comportements des similitudes avec certaines attitudes que l’on peut observer chez les enfants vers l’âge de deux ans et demi-trois ans. En voici quelques exemples : Vers trois ans, les enfants sont encore en train d’apprendre les règles, mais ils les connaissent déjà un peu et semblent prendre plaisir à les transgresser. Ils font par exemple des choses interdites, tout en regardant le parent en riant. Vers trois ans, certains enfants prennent parfois plaisir à détruire un jouet ou à malmener un insecte. Certains sont parfois dans l’attaque envieuse : par exemple, ils prennent de force le jouet d’un autre enfant, non pour le jeu lui-même, mais pour obtenir le plaisir que l’autre avait à jouer. Tous ces comportements sont parfaitement normaux, chez des enfants en bas âge. Mais ce qui est normal aussi, c’est d’évoluer, de grandir, pour accepter peu à peu les règles, accepter aussi la frustration, gérer ses émotions, apprendre à tenir compte des autres, etc. Autant d’apprentissages que le pervers, lui, ne réalise jamais.
Donc on peut considérer que le pervers traite sa victime comme un enfant de trois ans peut parfois traiter un jouet.
La deuxième métaphore est animalière. La voici : Les renards ont différentes techniques de chasse. L’une de ces techniques est particulièrement intéressante. Elle consiste pour le renard à jouer avec un petit lapereau pour gagner sa confiance et pouvoir ainsi s’approcher de lui. S’approcher suffisamment pour finir par lui sauter dessus et le manger. C’est le même genre de technique de chasse qu’utilise le prédateur avec l’enfant.
Chose promise, chose due, nous allons parler du fonctionnement pervers dans le monde des adultes. Et oui, certains pervers commettent des violences sexuelles aussi sur des femmes.
Alors on pourrait se dire que la problématique n’est pas la même car il y a maturité et discernement, chez la femme adulte. Certes mais le point commun est ailleurs, il se situe dans le fonctionnement du pervers : transgression des règles, utilisation de l’autre comme un objet, manipulation.
L’autre est séduit puis détruit. Mais l’emprise est créée différemment, parce que face à un autre adulte, c’est plus complexe. Le pervers présente alors un double visage : c’est dr Jekyll et Mister Hyde. Côté pile, la personne gentille et sympathique. Très souvent, le pervers est un séducteur, c’est quelqu’un de charismatique, de sympathique, que tout le monde aime bien. Côté face, le rejet, l’absence, les dénigrements, les moqueries et humiliations de sa victime, son isolement.
Le prédateur souffle le chaud et le froid, et peu à peu, la victime se retrouve prise au piège de l’emprise. Elle plonge dans la confusion et la culpabilité. Et puis la violence sexuelle advient. Harcèlement sexuel au travail, viol conjugal dans la relation de couple. Rappelez-vous : transgression des règles sociales, utilisation de l’autre comme un objet, manipulation. On retrouve ces trois éléments, dans le fonctionnement du pervers dont la victime est une femme adulte. Et là encore, le plaisir sexuel est finalement secondaire. La jouissance provient du pouvoir exercé sur une autre personne, de la puissance ressentie, à faire de l’autre son jouet, de la transgression d’un interdit. Donc là encore, il y a prédation, sexuelle dans le cadre d’une prédation plus large.
J’espère que ce podcast vous a intéressé. J’ai hâte de vous retrouver pour explorer d’autres facettes de cette problématique. En attendant, n’hésitez pas à vous abonner et prenez soin de vous. A très bientôt.